1. |
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dans la chambre molle
il neige du papier
je suis l’homme qui danse
nu triste et beau
l’homme grave et fol
dans la chambre de papier
pour rien
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2. |
Chose
03:00
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on ne parle jamais de lui
il se couche avant minuit
c’est une sorte de sans destin
son vieux chien vit chez le voisin
son père oublie toujours son nom
même les putains lui disent non
il est plongeur au restaurant
de la piscine depuis dix ans
comment vouloir être quelqu’un
quand on porte des souliers bruns
c’est un homme de peu de doute
une mine de rien sous sa croûte
il ne voit que ce qu’il regarde
il n’a jamais lu Kierkegaard
sa vie est sur la liste d’attente
il reste chez lui quand il vente
pour lui le pire est déjà mieux
son but est de devenir vieux
comment vouloir être quelqu’un
quand on porte des souliers bruns
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3. |
Rapide danseur
04:33
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je suis une femme certains soirs
j’ai l’œil bleu et j’ai l’œil noir
je suis aux parfums aux oiseaux aux bijoux
une rose à mon cou me tient au chaud
et des musiques aux accents tristes
règlent mes cycles sur la piste
où j’habille ma face de crème
mon corps de crêpe et mes yeux de problèmes
les soirs où je danse
des valses étranges
en silence
je suis un hibou en plein jour
j’ai l’œil aveugle et le souffle court
je cherche mon nid je cherche mon trou
je dors dans un chou loin de la vie
et des sorcières aux ongles sales
jouent dans mes nerfs des reels sauvages
avec de grandes aiguilles
des reels acides comme des filles
les soirs où j’habille
ma crasse et mes gales
de guenilles
je suis un vieux clown en chômage
je chie des mouches dans ma cage
j’achète des bouteilles je paye pour me souvenir
je mendie mon avenir où tout sera pareil
et les journaux annoncent ma mort
toujours trop tôt
même en retard
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4. |
Lola
03:02
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elle a la tête
d’un ange cruel
la bouche d’une bête
elle sait qu’elle est belle
et quand elle bouge
le bout de ses ailes
l’air devient rouge
tout autour d’elle
j’aime ses mains j’aime son teint
mais j’aime surtout ses seins
elle a une paire de dés
au creux de sa main
une bouteille de brandy
dans son sac à main
elle a un vieux poudrier
comme ange gardien
elle est bien protégée
ses cheveux sont teints
j’aime son crin j’aime son drain
mais j’aime surtout ses seins
elle a de tout petits pieds
une montre brisée
une chatte bouclée
une mère névrosée
un tout petit nez
une lampe dorée
une copine gaie
un panier percé
elle a l’air libérée
sur parole seulement
son temps est compté
elle a déjà quinze ans
et quand elle me trompe
avec ses amants
elle sait qu’elle se trompe
et elle se repent
j’aime son chien j’aime son serin
mais j’aime surtout ses seins
j’aime les nains j’aime les trains
mais j’aime surtout ses seins
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5. |
Parle-moé z'en pas
01:55
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t’as l’air d’avoir kèke chose qu’on sait pas quoi
t’as l’air d’un optimiste qui s’ennuie
t’as l’air d’un gynécologue qui trouve pu ça l’fun
t’as l’air d’un matelas qui a pas dormi de la nuit
t’as l’air d’un riche à millions qui a pas le téléphone
t’as l’air d’une rue dans le mauvais sens
t’as l’air d’un parapluie qui a peur de l’eau
t’as l’air d’un chômeur qui a besoin de vacances
t’as l’air d’un rond de poêle allumé à low
t’as l’air d’une statue qui tient pas deboutte
t’as l’air d’une chenille qui se cherche un chenil
t’as l’air d’un vendeur qui sait pas comment ça coûte
t’as l’air d’un poteau qui a perdu le fil
t’as l’air d’un perroquet qui a pas compris le mot
t’as l’air d’un monument à n’importe quoi
t’as l’air d’un matelot qui se fait mener en bateau
t’as l’air d’un mort qui aurait pas vraiment le choix
t’as l’air d’une affaire qui a été changée de place
t’as l’air d’un manchot à bout de bras
t’as l’air d’une farce plate à Coco Le Casse
t’as l’air d’un béluga dans un piège à rat
t’as l’air d’un tableau de bord de l’autre bord
t’as l’air d’un gars qui s’en souvient pas
t’as l’air d’un Français dans le boutte de Val d’Or
t’as l’air d’un tas de marde dans un vieux bas
t’as l’air d’avoir kèke chose qu’on sait pas quoi
t’as l’air d’avoir kèke chose qu’on sait pas pourquoi
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6. |
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passager des années jaunes
lépreux des heures
momie d’ulcères
lichen en croûte
orphelin de Dieu
blême sans fond
avocat gauche
suri à blanc
boudin du tendre
pantin de grabat
miroir pour riens
quand tu ne ris pas
tu pues des pieds
tu sens la mort
et la vie te nuit
quand tu ne meurs pas
tu bandes à mort
arbre à couilles
ogre-grappe
jubilant
géant monstre
vert écume
quand tu ne bandes pas
tu m’écris
en manque de viols
tu m’écris
pour faire un malheur
pour faire un malheur
pour faire un malheur
pour faire un malheur
pour faire un malheur
pour faire un malheur
pour faire un malheur
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7. |
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j’ai toujours aimé allumer un allumette
j’ai toujours toujours toujours aimé me mette
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8. |
Nègres blancs
05:12
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à tous les nègres blancs
une boule et un écran
une paire de souliers noirs
une montre et un miroir
à chacun sa poubelle
sa pédale et sa pelle
une ampoule une serviette
une clé et une assiette
à tous les nègres blancs
un parapluie pliant
du pain et des condoms
un trône percé d’un rond
un tout petit plancher
une guenille à chiquer
le transport des valises
le droit à la bêtise
à tous les nègres blancs
des pieds pour leurs enfants
une bouteille pleine de roches
une lampe et une poche
une corde et un piquet
la culture du navet
une toile de Taillibert
l’adresse du cimetière
une cirrhose une scie ronde
le blé d’une fausse blonde
un clou phosphorescent
une brique et un aimant
mo-ha ! mo-ha ! mo-ha !
(je n’ai jamais vu Wabush…)
(je voudrais voir Wabush…)
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9. |
Ramon
03:06
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j’étais Ramon le mal rasé
ramonant la femelle
dans un arbuste empoussiéré
du parc Jeanne-Mance
après le bar
ses considérables totons blancs
frémissaient au printemps
de Montréal
et les petits poils érectiles
si tragiquement vulnérables
si dérisoires
de son trou du cul
dans le vent
quand j’ai vu
en redressant la tête
la noire baleine du Mont-Royal
ce corps monstrueux
gigantesque
affalé dans la nuit cosmique
ça m’a comme saisi
ç’a été plus fort que moi
je me suis senti monter
une sorte de dégoût
pour le doux entonnoir
qui s’efforçait de me divertir
il y avait nos râles risibles
et le rire puissant
silencieux
indifférent
de l’horloge broyant les espèces
dans l’inanité de la machine Univers
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10. |
Qui sont ces fous
04:58
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sorciers sorcières anges de chair
ouvrez les portes de nos enfers
réveillez les morts et les vivants
la nuit est rouge comme notre sang
raclez vos violons tordez nos nerfs
que chantent nos chaînes et nos misères
et nous danserons sur les genoux
entre les étoiles et les égouts
nous voulons luire au bal des poussières
qu’on nous donne à boire de la lumière
nous voulons l’amour comme les bêtes
des femmes louves la fesse en fête
nous voulons l’Irlande tout entière
pour nous tout seuls et sans l’Angleterre
nous n’aurons ni maîtres ni tabous
entre les étoiles et les égouts
qui sont ces fous qui crient dans le noir
des ombres nues devant des miroirs
nous vendrons le vent aux millionnaires
dans des boîtes vides faites de fer
nous donnerons l’argent aux revenants
l’habit des banquiers aux chiens errants
nous ferons fondre l’or pour en faire
des chambres d’enfant sur toute la terre
et nous bénirons ceux qu’on bafoue
entre les étoiles et les égouts
si les dieux sont morts les yeux crevés
c’est qu’ils ont osé nous regarder
refaire le monde ici-bas
et puisque sans eux il n’y a pas
de monde meilleur et pas d’ailleurs
pour le plus grand de tous nos malheurs
nous serons des hommes et c’est tout
entre les étoiles et les égouts
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11. |
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j’me sus faite frapper
par l’ambulance
je marchais à pied
dans la distance
je suis bad lucké
dans l’existence
c’pas ma faute à moé
c’est mon enfance
qui m’a toute fucké
ça a pas d’sens
pis mon père René
y a pas d’licence
y a pas l’droit d’chauffer
un ambulance
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12. |
Rente la sringue
03:21
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|||
rente la sringue de l’amour dans mon cœur
fais de moi le junkie du bonheur
je suis seul c’est la nuit et je pleure
rente la sringue de l’amour dans mon cœur
hostie de tabarnak ça va mal
maudit christ de câlisse j’ai si mal
l’amitié de ta cuisse m’est vitale
où es-tu mon si bel animal
j’ai couru dans les rues sans te voir
j’ai marché le plancher dans le noir
mon reflet disparaît du miroir
ne reste plus que le désespoir
si la clé n’ouvre plus la maison
et si je n’entends plus la raison
si le chien ne comprend plus son nom
conçois donc ce qu’est mon abandon
rente la sringue de l’ amour dans mon cœur
fais de moi le junkie du bonheur
je suis seul c’est la nuit et je pleure
rente la sringue de l’amour dans mon cœur
|
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13. |
Le survenant
04:34
|
|||
donne-moi une bière pis un petit whisky
je suis revenu de Maniwaki
je te rapporte ton trombone tel que promis
tu peux me remettre mon parapluie mon hostie
tu te souviens de Tony
celui qui chiait des olives
quand il buvait trop de martinis
j’ai entendu dire qu’il a mangé sa chemise
et que ça lui a donné des boutons
tu te souviens de la petite Manon
celle qui pensait toujours un peu
comme la tour de Pise
il paraît qu’elle a cassé son violon
quand elle a perdu la boule
je lui avais pourtant dit fais attention ma fille
c’est un sport dangereux les quilles
je suis revenu en autobus
j’ai vu que rien avait changé
tout est juste un peu plus petit qu’avant
les autos les appartements
les plats dans les restaurants
Maniwaki non plus c’est pas tellement grand
là-bas comme ailleurs
les nouvelles sont les dessins animés
des grands enfants
mais là-bas je peux pas dire le contraire
je me suis refait j’ai eu le temps
je vais retourner voir Lola je m’en fais pas
les femmes se fatiguent toujours
de leur dernier chum
surtout quand il déconne sur le cholestérol
en mangeant du Pablum
pis je repars demain
je m’en vas ailleurs quelque part
c’est un secret je te le dis pas
je vas t’écrire fie-toi sur moi
je vas t’envoyer mon nom
écrit en lettres majuscules
sur un deux de pique ou sur un bill de cent
tu vas savoir que ça vient de moi
n’importe comment
en attendant donne-moi un autre verre
donne-moi une bière pis un petit whisky
en passant quand je serai parti
dis bonjour pour moi à mon père
et à ses enfants
|
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14. |
Miss Monde
02:31
|
|||
elle est venue du bout du temps
un collier de seins à son cou
les mains en forme d’ouvertures
et le sourire du thé fumant
vêtue de la noire chevelure
sans armure sans frivolité
venue de la fin de la terre
là où les oiseaux virent de bord
avec des lèvres en abondance
des pieds en nombre suffisant
les yeux bridés comme des martyres
la lune pleine entre ses jambes
c’est l’écuyère sous le cheval
la cavalière armée d’amour
elle est venue de toutes ses forces
portant son dos comme un lit blanc
ses ailes comme des sentinelles
et la brume du soleil levant
venue de l’intranquillité
fuyant la fuite et pour rester
|
||||
15. |
||||
nous n’aimons franchement
que ce qui nous plaît
je parle bien sûr des anges
dont sont pleines vos poubelles
notre politique est indiscutablement érotique
notre programme est la beauté même
cette finalité sans fin
celle que tu as camarade
peut-être oubliée un matin
ou qui t’est restée entre les mains
au fil du temps à force de repasser par le même
en ce qui nous concerne
nous n’avons plus d’idées
nous n’avons que des mots
dont tu n’as pas idée
nous sommes les gardiens de l’inutile
la forteresse que nous défendons
restera imprenable à jamais
parce qu’elle est vide – tu le savais ?
nous ne savons pas compter
nous ne rêvons que de raconter
nos voix sont des masques
et nos tréteaux sont paraît-il si beaux
que quelqu’un m’a dit
que les vieux chevaux
viennent mourir de ce côté-ci de nos eaux
et qu’entre nos mains le plus noir des oiseaux
sera toujours plus blanc
que le bas de ton dos
ne vois-tu rien venir camarade
sur le trottoir pourtant le vieux soulier noir
ressemble à s’y méprendre à un corbeau noir
c’est en nous nous le savons
que le siècle se survivra
nous entrerons dans un autre millénaire
en marchant sur les mains
et le cul à l’air – comme dans l’au-delà
le temps ne nous est rien
que le souffle de la mode
agonisant dans les couloirs d’un métro
là où nous avons trouvé ces lambeaux d’âme
dans lesquels nous avons taillé nos manteaux
tout ce qui nous alarme
a été créé pour notre bien
et fera désormais notre charme
et nous nous en repaîtrons
et nous nous en foutrons plein les babines
et nous rirons bien ronds
en nous roulant dans le sublime
ne vois-tu rien venir camarade
sur le trottoir pourtant le vieux soulier noir
ressemble à s’y méprendre à un corbeau noir
|
||||
16. |
Art poétique
06:34
|
|||
toutes les musiques sont inutiles
ou presque
parce que la musique est faite
en général par des musiciens /
les musiciens sont des gens qui n’ont rien à dire mais qui veulent faire quoi
de la musique
/ un batteur veut taper sur ses casseroles
il se fout bien de tout le reste /
une symphonie c’est un gros tas de notes
qui tiennent ensemble
à cause de quelques lois
strictement mathématiques
et qui n’expriment rien d’autre
qu’une architecture mathématique
/ on l’a dit souvent
il n’y a pas d’émotion
dans la musique de Bach par exemple
pas d’idées non plus
sauf des idées de mathématique musicale /
pour que la musique devienne intéressante
il faut lui superposer du texte
c’est-à-dire du sens
ce que la musique toute seule ne fournit jamais puisqu’elle en est incapable
/ le chant grégorien va quelque part
il est prière
une sonate pour piano
n’est que du piano
ivre d’une combinatoire mathématique /
la musique populaire elle
est une arnaque à vagins
une pulsion simiesque
et une colossale machine à piastres
on commence à le savoir
/ ce n’est pas pour rien
que toutes les « idoles » sont manufacturées
pour un public d’adolescentes
de plus en plus jeunes
ça carbure aux hormones
et c’est jetable quinze mois plus tard / la « grande musique »
ressemble à la passion des nombres
qu’avait Sade
elle donne le même vertige
et elle est aussi platement vide
/ quand on sait ce que c’est
qu’un accord mineur
il devient vraiment trop facile
de peser sur le piton
même si ça marche à tout coup
et justement parce que ça marche à tout coup / Beethoven disait un jour
à un violoniste récalcitrant
qui n’arrivait pas à jouer
une partition trop difficile
« Que m’importe votre sacré violon
quand l’esprit souffle en moi ! »
/ il écrivait de la musique le zeb
il s’était fasciné sur la mathématique
et personne n’allait le faire chier
n’est-ce pas /
la musique de son époque
commençait à souffrir de la mort de Dieu
qu’elle pressentait ou qu’elle avait anticipée
cette époque celle du « romantisme »
/ aujourd’hui la musique est morte
la grande musique d’abord
merci au matraquage de masse
des faiseurs d’hymnes aux vagins
la musique religieuse n’en parlons pas
mais plus grave la musique populaire aussi /
il y a une énorme différence
entre une culture populaire
et une culture de masse
/ Robert Johnson a écrit
des blues issus d’une culture populaire
Eric Clapton le long saxon aux pieds froids
n’est qu’un faiseur de sonorités très suitable pour un marché de masse
qui ne connaît pas
et par conséquent n’achète pas
la musique du nègre mort Johnson / l’architecture du chant grégorien
obéit à un principe mathématique
visant à produire une mélodie
dépourvue d’excitation sensuelle
la spiritualité s’opposant
dans la religion chrétienne
à l’univers trouble de la sensualité
les écarts entre les notes
sont soumis à un contrôle
d’une extrême rigueur
qui ne permet aucun emballement
aucune envolée
aucun déraillement émotif
/ évidemment cette musique
est la plus sensuelle du monde
la plus blues
la plus magnifiquement retenue
et la plus suavement suggestive
de ce qu’elle veut suggérer
le divin lancinant et qui fait mal
quand on le cherche
en pure perte toujours
à l’intérieur de soi /
j’ai craqué pour le rap
à l’époque déjà oubliée où il a été
ce que la musique « afro-américaine »
a toujours été
/ depuis que les Italiens et les Chinois
font du rap rococo
avec des tuques de nègre
c’est la nausée naturellement /
l’intelligence du slang
de l’« ebony » mettons
des nègres américains qui ont inventé le rap
est égale à celle qui a donné naissance
aux phrasés jazz blues rythm & blues funk
rock ’n’ roll
brevet nègre ne l’oublions pas
/ ils ont tout fait /
la seule musique « typiquement » américaine
est le country & western
qui est une musique européenne resucée
en gros
/ j’admire cette vraie culture populaire
dont est issu le rap
qui est devenu une autre vis
de la culture de masse
et qui pour ça
ne veut plus rien dire aujourd’hui /
la parole est l’essence du rap
le reste sans la parole ne serait rien
/ nous sommes des êtres
beaucoup trop sophistiqués
pour être victimes de la savane
et de ses seuls rythmes
nous sommes des singes dénaturés
le but de notre culture
est de faire de nous des primates dégénérés
des blondes à l’aisselle rasée
qui ne parviennent jamais
tout à fait à entrer en transe
quand bat le tam-tam entravé par la pénicilline
pourtant fabriquée
à partir du membre de l’étalon /
il y aurait une vaste étude
sociologique philosophique religieuse
qui devrait être entreprise
afin d’étudier le vide estomaquant
des pages de journaux et de magazines consacrées aux entrevues
universellement stupides
que donnent les « musiciens »
et autres chanteurs de pomme
promotion oblige
/ dans toutes les musiques
où on n’entend que l’absence de Dieu
ou l’absence de son absence
on ne peut sentir que cette horreur
les pieds du cœur humain
qui pue comme tout ce qui vit
et qui va mourir /
la musique seule c’est deux choses
rythme et mélodie
l’accent étant mis soit sur le rythme
soit sur la mélodie
une « belle » mélodie pour être belle
doit être lente
un rythme emportant doit être rapide
et forcément réduire
l’aspect mélodique de la chose
c’est mathématique
/ il faut du texte
pour sauver la musique de la musique
qui n’est jamais qu’elle-même
trois quatre etc.
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Serge Viau Montréal, Québec
Serge Viau est musicien et écrivain. Il est né à Montréal, où il vit et travaille.
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